Interview de Paul Rechtsteiner, ancien conseiller aux Etats et ancien président de l’USS

«C’est le service public qui fait la cohésion de la Suisse.»

Tu t’es fortement engagé pour le service public, en tant que président de l’USS et en tant que parlementaire. Quelles étaient tes motivations? Tes principaux succès?

Qu’est-ce qui donne une bonne image de la Suisse? Réflexion faite, ce ne sont pas seulement les paysages, les montagnes et la démocratie directe mais aussi la qualité des prestations fournies par l’Etat. C’est le service public qui cimente la cohésion en Suisse. Nous avons réussi à le défendre et à le développer avec succès au cours de ces
dernières décennies. Ce qui ne va pas de soi, clairement pas en comparaison  européenne et mondiale. Il faut savoir que dans notre pays également, à l’ère du néo-libéralisme, l’Etat social et le service public ont fait l’objet de vives critiques vers le milieu des années 1990, avec, en point de mire, les entreprises de la Confédération. Ces attaques néo-libérales à l’encontre de l’Etat ont été lancées par de nombreuses personnalités de l’économie, issues notamment du secteur financier, sous la forme du
Livre blanc, intitulé «Ayons le courage d’un nouveau départ» («Mut zum Aufbruch»). Ce sont ces mêmes partisans d’une libéralisation accrue qui ont été responsables par la suite de la quasi faillite de l’UBS. Il n’est pas inutile de rappeler que c’est un paquet de 66 milliards provenant de la Confédération et de la Banque nationale qui ont permis le sauvetage de cette grande banque. Dans l’ensemble, la défense du service public en Suisse a porté ses fruits malgré un contexte défavorable. Les syndicats ont joué un rôle-clé. La démocratie directe a été utile, si l’on considère notamment le succès du référendum contre la loi sur le marché de l’électricité en 2022. Le résultat de cette votation a montré que la population voulait un service public fort. Il en va de même pour les chemins de fer et la poste.

Ces dernières années, la commission des transports et des télécommunications CTT du Conseil des Etats, peutêtre un peu moins considérée en raison de sa composition
restreinte (13 représentant.e.s), a joué un rôle central. J’ai pu y siéger lors de mon élection au Conseil des Etats. C’est donc au sein de cette commission que les projets
ferroviaires ont été boostés et que la privatisation de Postfinance et de Swisscom a été coulée. Non seulement, la gauche, mais aussi les conseillers aux Etats bourgeois des régions économiquement plus faibles se sont avérés être des alliés fiables de la défense du service public.

 

Quels sont les principaux enjeux économiques, politiques et sociétaux autour du service public en Suisse? Comment perçois-tu l’évolution du service public ces prochaines années?

Dernièrement, la crise Covid a montré l’importance d’un Etat qui fonctionne, apte à fournir des prestations pour la population et l’économie. Si nous avons aussi bien traversé la crise, en comparaison internationale, nous le devons en grande partie à une administration publique engagée et compétente. Sans compter les décisions politiques qui ont été à la hauteur des enjeux.

Le service public doit sans cesse s’adapter à l’évolution des besoins. Deux exemples suffisent à étayer cette réflexion. Premièrement, la crise climatique qui représente
un défi majeur pour notre époque, et ceci à l’échelon planétaire. Une administration compétente joue un rôle essentiel face à l’urgence de la transformation écologique. De l’approvisionnement énergétique au système de transport, beaucoup d’éléments dépendent de la compétence et de l’engagement de l’administration publique. Deuxièmement: lorsqu’il s’agit de concilier le travail et la famille, la garde d’enfants joue un rôle clé. Si l’on s’accorde sur le principe, les crèches font partie du service public. Dans ce domaine, la Suisse a encore beaucoup de retard à rattraper. Mais aussi des chances à offrir pour l’avenir.

 

A l’heure de prendre ta retraite de conseiller aux Etats, quel message souhaites-tu adresser aux employé.e.s de la Confédération?

La qualité du service public dépend directement de l’engagement et de la compétence des collaborateurs/trices car ce sont eux qui fournissent les prestations. Une fois de plus, celles-ci sont impressionnantes. Et je pense qu’une majorité de la population s’en rend également compte.

Cela étant, je n’ignore pas que le climat médiatique et politique est souvent marqué par une certaine hostilité vis-à-vis de l’Etat. Ces critiques ont commencé en 1979, année durant laquelle le PLR a fait campagne en vue des élections fédérales sous le slogan «Plus de liberté et de responsabilité, moins d’Etat». Ce discours s’inspirait de l’actualité politique représentée par Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Avec le recul, force est de constater que le PLR n’a pas obtenu le succès escompté. L’UDC l’a largement dépassé en menant de virulentes campagnes anti-étatiques. Pourtant aucune branche de l’économie ne dépend autant de l’Etat que l’agriculture.

A noter que dans ce contexte, les campagnes d’opposition à l’Etat peuvent avoir une énorme résonnance médiatique. Il ne faut toutefois pas surestimer leur impact réel. Et là, je ne pense pas seulement à la Suisse. Je vous encourage à lire les ouvrages de l’économiste mondial Thomas Piketty si l’on veut saisir l’importance des secteurs étatiques dans les sociétés développées, indépendamment de leur orientation capitaliste.

 

Le politique veut souvent plus de service public mais a de la peine à adapter les budgets en conséquence. Qu’en penses-tu?

Dans l’ensemble, les prestations de l’Etat en Suisse reposent sur une base financière solide. Le taux d’endettement des pouvoirs publics est tout à fait modeste en comparaison internationale, milliards de covid ou pas. La politique fiscale de ces dernières années a connu des évolutions positives et négatives. Au cours des dernières décennies, les baisses d’impôts ont été négatives, en particulier pour les entreprises. Celles-ci sont également tributaires d’une infrastructure fonctionnelle, elles ont besoin de routes et de main-d’oeuvre bien formée. Ce qui est positif, c’est qu’une certaine tendance inverse s’est maintenant amorcée, notamment en raison de l’évolution internationale. Et ce qui est remarquable en Suisse, c’est que tous les projets fiscaux visant à alléger la charge fiscale des personnes fortunées ont été rejetés en votation référendaire ces dernières années. C’est le signal d’un possible tournant dans la politique fiscale

 

Quelles seront les conséquences de la numérisation sur le service public (SSR, administration)?

La numérisation des services publics est également inéluctable. Mais elle doit toujours être perçue en terme d’efficacité, de convivialité et de protection des données. Les services publics doivent être accessibles à tout le monde. En fin de compte, tout dépend des personnes, de leurs compétences, de leurs capacités et de leur engagement. La numérisation ne doit jamais être une fin en soi, mais seulement un moyen.

 

On dit souvent que le service public a un problème d’efficacité? Cela correspond-il à la réalité? Qu’en penses-tu?

Au cours de mes 36 années passées au Parlement, j’ai côtoyé un grand nombre de fonctionnaires et d’employé.e.s compétent.e.s et engagé.e.s. Ils étaient conscients de
l’exigence et des responsabilités liées aux tâches accomplies dans l’intérêt de la population. Cette efficacité n’a pas fait défaut. Si je peux émettre une critique c’est la tendance à engager de plus en plus de chargé.e.s de communication au lieu de responsables de dossiers. Une bonne administration publique et un service public efficace ne doivent pas être perçues sous l’angle de la communication mais de la qualité des prestations fournies. Celles-ci restent heureusement primordiales à ce jour.

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