Paquet d’austérité ! Frein à l’endettement ! À écouter la majorité bourgeoise au Parlement et les journalistes des grands médias, la Suisse est au bord de la faillite. Cette rhétorique est intentionnelle et sert de base à une politique financière de plus en plus restrictive. Le moyen d’y parvenir : des paquets d’économies au nom du frein à l’endettement. Les perdant·e·s : la grande majorité de la population, mais également les petites et moyennes entreprises (PME) et, directement concerné, le personnel fédéral ainsi que celui des entreprises proches de la Confédération et du domaine des EPF.
Nous avons tendance en Suisse à louer notre système politique de manière très partisane et peu critique. Si la Suisse réussit indéniablement dans de nombreux domaines, le débat public, souvent marqué par l’arrogance et l’ignorance, comporte de nombreux angles morts. Ainsi, le « succès » de la Suisse n’est en aucun cas le seul fait d’une politique financière restrictive, comme on aime le faire croire à la population suisse. Cette vision est trop réductrice et met non seulement dans l’ombre, mais aussi à l’écart, les véritables réalisations de notre État.
La prospérité de la Suisse repose sur l’équilibre social
La prospérité de notre pays ne repose pas sur une politique financière restrictive. Bien au contraire, les réalisations essentielles de notre État démocratique remontent à l’après-Seconde Guerre mondiale. À cette époque, face aux événements qui ont entouré les deux guerres mondiales, l’État de droit démocratique et social était perçu comme une forme de protection pour la majorité de la population contre le pouvoir des hauts revenus et des possédant·e·s. L’objectif était de créer un lien social assumant des responsabilités étendues : l’État-providence n’était pas le seul enjeu, mais, sur la base d’une politique économique anticyclique inspirée par Keynes, une forme de bien-être universel était recherchée avec de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME), importantes mais de taille modeste. Cette démarche a abouti à la création d’une classe moyenne forte. Aujourd’hui, on aime à dire que la politique est surtout faite pour cette classe moyenne et ces PME. Les décisions de la majorité politique mettent pourtant cette classe moyenne et les PME sous une pression économique de plus en plus forte.
Les impôts comme outil d’équilibre social
Après la Seconde Guerre mondiale, des impôts élevés ont été imposés aux riches et aux possédant·e·s en Europe, mais aussi aux États-Unis, afin de garantir un équilibre social. L’objectif était de s’assurer que l’État-providence continuerait de permettre la prospérité de toutes et tous. Sans l’essor économique des années 1950 à 1980 et la politique fiscale progressive qui a permis la mise en place d’une sécurité de base étatique et l’a stabilisée, une classe moyenne telle que nous la connaissons aujourd’hui n’aurait pas vu le jour. Cela vaut non seulement pour la Suisse, mais également pour la plupart des pays industrialisés occidentaux ayant, ou ayant eu, une classe moyenne importante.
L’État-providence sous un feu permanent
Depuis les années 1980, cet État-providence est constamment attaqué et a dû subir de nombreuses dégradations. La Première ministre britannique Margaret Thatcher et le président américain Ronald Reagan sont devenu·e·s, dans les années 1980, le symbole du démantèlement des « obstacles étatiques » et ont popularisé les principes néolibéraux, adversaires majeurs de l’État-providence. Leur objectif : un État faible. Cette « stratégie de choc » néolibérale, un concept popularisé par les Chicago Boys, a été mise en œuvre sans concession en Angleterre et aux États-Unis. Avec prétendument moins d’État et plus de « responsabilité individuelle », appartenir à la classe moyenne est devenu un privilège dans ces deux pays.
Le néolibéralisme : une idéologie de la minorité
Il a sans cesse été répété à la majorité de la population que cet État affaibli était aussi à son avantage, et de petits cadeaux fiscaux à la classe moyenne ont rendu cette stratégie attrayante. Parallèlement, les taxes et frais non progressifs ont fortement augmenté. Résultat : de plus en plus de membres de la classe moyenne subissent aujourd’hui une pression économique et expriment régulièrement, lors des sondages, leur crainte de « descendre » dans l’échelle sociale. Ce démantèlement de l’État s’est accompagné de réductions massives des impôts pour les 10 % les plus riches, ainsi que de privatisations et de déréglementations économiques, atteignant son paroxysme avec l’introduction du frein à l’endettement (2001) et d’une politique financière restrictive.
Retour en 2024. La Conseillère fédérale et ministre des Finances de la Suisse, Karin Keller-Sutter, esquisse depuis des mois des scénarios financiers catastrophiques pour l’État suisse. La solution proposée par la ministre des Finances et le Conseil fédéral : un paquet de mesures d’allègement de plusieurs milliards de francs. L’État-providence risque de subir une nouvelle coupe de plusieurs milliards et, si l’on en croit la cheffe du personnel de la Confédération, le personnel fédéral doit également apporter sa contribution. La majorité bourgeoise du Parlement applaudira docilement et voudra même faire mieux que le Conseil fédéral.
Or, les coupes à venir touchent principalement les larges couches de la population, qui dépendent davantage des financements publics pour la garde d’enfants, la prévoyance vieillesse, les transports publics ou la mobilité en général que les hauts revenus. Le personnel fédéral est, lui, doublement pénalisé. Selon le rapport du groupe d’expert·e·s dirigé par M. Gaillard et, surtout, le professeur Dr Schaltegger (chef de l’IWP), tous deux d’anciens employés de l’État bien rémunérés, une chose est claire : en plus de la réduction des subventions et des aides pour les services publics, le personnel fédéral ne devrait plus bénéficier de compensation de l’inflation jusqu’en 2028 et le nombre de postes équivalents plein temps (EPT) dans l’administration fédérale devrait être fortement réduit. Toute nouvelle prestation devra donc être assurée avec le même nombre d’EPT. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait de grandes études pour comprendre les conséquences pour le personnel fédéral, mais seulement de faire preuve de bon sens : à l’avenir, soit les prestations seront régulièrement réduites ou supprimées, soit de nouveaux axes seront définis, ou alors l’administration fédérale devra devenir de plus en plus efficace. Mais comme, dans la plupart des services, le citron a déjà été pressé, il faudrait détériorer massivement les conditions de travail (augmentation du temps de travail, baisse des salaires) pour devenir plus efficace. L’État, en tant qu’employeur, compromettrait ainsi fortement sa compétitivité par rapport aux employeurs privés comparables, comme le montre la récente étude comparative de PwC sur les conditions de travail. Le personnel fédéral subirait non seulement une perte de pouvoir d’achat, mais la compatibilité entre vie professionnelle et vie privée, une thématique importante aujourd’hui, serait encore plus mise sous pression.
Le dernier train de mesures de démantèlement de la ministre des Finances Karin Keller-Sutter et du Conseil fédéral ne menace donc pas seulement les conditions de travail et de vie du personnel fédéral et des milliers d’emplois dans l’administration fédérale, mais également l’équilibre social en Suisse.
Le dernier train de mesures de démantèlement de la ministre des Finances Karin Keller-Sutter et du Conseil fédéral ne menace donc pas seulement les conditions de travail et de vie du personnel fédéral et des milliers d’emplois dans l’administration fédérale, mais également l’équilibre social en Suisse. Cette situation est plus que préoccupante, d’autant plus que cette année, le peuple suisse, souverain, a envoyé un signal très clair au Conseil fédéral et au Parlement conservateur à travers l’adoption de deux propositions de politique sociale (13e rente AVS et réforme de la LPP).
Pour justifier cette politique d’austérité, le frein à l’endettement, adopté en 2001 avec 85% de voix favorables, est constamment invoqué. Et il prévaut sur tout, même si le souverain souhaite, par exemple, une autre approche pour la prévoyance vieillesse. L’introduction de cet instrument dans une version extrêmement restrictive a été un coup de maître des « épargnant·e·s » sous la coupole fédérale. En effet, qui souhaite accumuler des dettes sans frein ? Les exemples négatifs d’autres pays ne manquent pas. Pourtant, le frein à l’endettement est aujourd’hui la principale cause de la redistribution des richesses du bas vers le haut, rendant impossible une redistribution du haut vers le bas, que ce soit par la majorité politique ou par le frein à l’endettement. Même si le peuple le souhaite. En cas de doutes, il suffit de consulter la publication annuelle « Les 300 plus riches de Suisse » du magazine économique « Bilanz » et l’évolution de leur patrimoine. Aujourd’hui, les 10 % les plus riches possèdent environ 3 500 milliards, soit 75 % de la richesse privée de la Suisse, et ce chiffre augmente chaque année.
La politique du frein à l’endettement conduit la Suisse vers une inégalité croissante, et l’État devient de plus en plus dépendant des plus riches et des grandes entreprises, ce qui le rend de plus en plus vulnérable aux pressions. Le dernier exemple en date est le débat sur une véritable « mini-taxe sur les successions » pour les personnes les plus riches du pays. Le citoyen modèle Spuhler a immédiatement menacé de s’exiler. Un pays qui peut être ainsi soumis à un chantage a, de fait, déjà renoncé à sa souveraineté.
Le débat actuel sur les coupes budgétaires et leurs solutions montre une volonté de ne pas dévier de cette politique et de respecter les principes du frein à l’endettement à la lettre. La plupart des propositions d’économies concernent l’État-providence, les besoins de la classe moyenne ou le personnel fédéral via des réductions dans l’administration.
Depuis des décennies en Suisse, on a l’impression de ne parler que d’économies et de sacrifices. Dans l’un des pays les plus riches du monde, des acquis sociaux sont régulièrement sacrifiés, ce qui a des répercussions directes sur la vie quotidienne de la majorité de la population. De nombreux·euses professionnel·le·s dans le système de santé quittent le métier, et, dans l’école publique, la pénurie de personnel qualifié se ressent à tous les niveaux.
Entre-temps, la majorité politique, bourgeoise, a mis en place un système qui permet aux très hauts revenus et aux grandes entreprises de bénéficier de réductions fiscales massives. Depuis les années 1990, les pertes de recettes fiscales liées à ces privilèges pourraient avoisiner les 30 MILLIARDS DE FRANCS par an.
Ces subventions pour les 10 % les plus riches manquent aujourd’hui pour financer les infrastructures, les services publics, une administration fédérale compétitive, des conditions de travail saines pour le personnel fédéral ainsi que des emplois administratifs innovants et porteurs d’avenir.
Pour la classe moyenne, à laquelle appartient une grande partie du personnel fédéral, ce manque se matérialise dans des salaires stagnants, des loyers plus élevés, des primes d’assurance maladie plus élevées et donc une perte de pouvoir d’achat.
Pour la classe moyenne, à laquelle appartient une grande partie du personnel fédéral, ce manque se matérialise dans des salaires stagnants, des loyers plus élevés, des primes d’assurance maladie plus élevées et donc une perte de pouvoir d’achat. Sans parler des perspectives de retraite en baisse pour les travailleurs·euses d’âge moyen.
Cette politique financière restrictive et ces plans d’austérité ne servent pas les intérêts de la majorité de la population et doivent être stoppés. Il ne s’agit pas de gérer les finances et les dettes publiques de manière déraisonnable et démesurée. Au contraire, nous avons besoin d’une politique financière avisée, mais au service de la majorité, les 90 % de notre population, afin qu’elle respire à nouveau.