15.12.2022 - Dossier Magazin-e APC 4 2022

«Que l'employeur Confédération puisse prendre des décisions unilatérales est un non sens»

Dans le secteur privé, les relations avec le personnel sont réglées par une convention collective de travail (CCT).Au sein de la Confédération, les lois régissent les relations de travail. Pour quels résultats et quelles conséquences? Bilan.

 Amèle Debey

 «Le partenariat social représente la volonté de résoudre les problèmes liés au personnel ensemble, entre employeurs et employé.e.s. Il implique la volonté de prendre en compte l’intervention des syndicats.» C’est en ces mots que Luc Python, secrétaire de l’Association du personnel de la Confédération (APC) résume cette avancée sociétale, ancrée dans la loi depuis 1911.

 Ce fameux bond dans les rapports entre employé.e et employeur se décline sous différentes formes en pratique: au sein de la Confédération, comme de la plupart des cantons (à part celui de Soleure), c’est la loi sur le personnel (LPers) qui régit les conditions de travail. Dans le secteur privé, on fait appel à une CCT.

 

Rôle des syndicats

 Puisque le Parlement vote les évolutions et autres changements dans la loi sur le personnel, à quoi servent les syndicats? «L’APC – avec les autres syndicats – peut énoncer des idées concrètes et proposer des mesures dans le cadre des rencontres régulières avec les représentant.e.s des employeurs appelé Comité de suivi des partenaires sociaux (BAS), explique son secrétaire général Jérôme Hayoz. Elle rencontre aussi régulièrement le chef du Département des finances qui est aussi le chef du personnel de l’administration fédérale. Mais, à mon avis, Le partenariat social devrait davantage se dérouler sur un pied d’égalité afin qu’un équilibre des intérêts puisse s’établir. Dans ce contexte, une CCT présente un net avantage, car elle doit toujours être acceptée et adoptée par les deux parties à l’issue d’un processus de négociation, ajoute-t-il. Cela donne aux employé.e.s un droit de codécision et plus de pouvoir. De ce fait, le partenariat social à la Confédération est différent, mais pas moins complexe.»

 

Tournant historique

Au début des années 2000, c’est grâce à la disparition du statut de fonctionnaire que l’on a pu voir arriver les premières CCT dans des entreprises comme les CFF. Particulièrement à l’aise dans ce genre de contexte, Giorgio Tuti avait alors été en charge d’assurer la transition.

 Aujourd’hui président du Syndicat du personnel des transports (SEV), qui gère l’entier du personnel de tout le pays, Giorgio Tutti se rappelle: «C’était historique, car cela n’avait pas bougé depuis 1927. Cela a lancé le mouvement.» Pour Giorgio Tuti, ce changement est une avancée incontestable qui responsabilise davantage les deux parties. Et les employé.e.s en seraient satisfaits: «Aux CFF, l’année de la première CCT, nous avons fait un sondage parmi les employé.e.s. Ils ont été près de la moitié à répondre pour une satisfaction d’environ 90 %. Aujourd’hui, ce n’est même plus un sujet.»

Car si on en croit le porte-parole du syndicat Unia, Lucas Dubuis, les avantages des CCT sont nombreux par rapport aux relations de travail qui sont seulement régies par la Loi sur le travail ou le Code des obligations: elles fixent les salaires minimums, l’octroi d’un 13e salaire, la possibilité de prendre une retraite anticipée, une cinquième semaine de vacances, des horaires de travail en dessous des 45 à 50 heures par semaine possibles, etc. «À l’échelle d’une branche économique, explique-t-il, ces dispositions sont des garde-fous importants pour garantir des conditions de travail équitables et que la concurrence entre les entreprises ne se fasse pas au détriment de la santé et des conditions de vie des salarié.e.s. Elles sont également garantes de la redistribution des revenus du travail.»

Qui plus est, l’existence d’une CCT permet à des représentant.e.s syndicaux externes d’intervenir de manière indépendante sur la base d’un mandat donné par les employé.e.s. Ce qui n’est pas négligeable en cas de conflit interne, de harcèlement ou de mobbing.

La Confédération à la traîne?

 Alors, le secrétaire général de l’APC est-il satisfait que ce soit la loi sur le personnel qui régisse les rapports de travail entre employé.e.s et employeurs au sein de la Confédération?

«On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, tente-t-il de tempérer. Les avantages de la loi sur le personnel résident dans le fait que l’influence de l’administration et de la politique, ainsi que le fonctionnement de la politique suisse, assurent une grande stabilité et donc une prévisibilité des conditions de travail. Mais le fait que la Confédération, en tant qu’employeur, puisse prendre des décisions unilatérales est une aberration dans un pays où l’on parle sans cesse de la force des CCT et du partenariat social.»

 «Lors de réorganisations touchant le personnel, nous sommes invités à la table des négociations… et si ce n’est pas le cas, nous imposons notre présence, explique-t-il encore. Nous exerçons également une fonction de surveillance pour que les conditions de travail soient respectées et intervenons si nous avons connaissance d’un quelconque non-respect. Le fait que nous soyons reconnus en tant que partenaires sociaux nous permet aussi de défendre individuellement nos membres qui rencontrent des difficultés au travail. Nous consacrons également beaucoup au travail de lobbying au Parlement. Il n’est toutefois pas vraiment facile d’obtenir des majorités pour les préoccupations du personnel fédéral, compte tenu de la composition actuelle du Parlement. Mais du point de vue d’un syndicaliste, négocier une CCT pour le personnel fédéral serait un défi passionnant. Avec le risque toutefois qu’en cas de rapport de force défavorable, cela pourrait se retourner contre le personnel.»

 Pour Luc Python aussi, la LPers peut être à la source de frustrations: «Dans l’administration fédérale, les syndicats sont entendus, peuvent faire part de leurs revendications, mais il s’agit de recommandations. Dans le cadre d’une CCT, où les syndicats sont acteurs de la négociation. Il y a un rapport de force entre le patronat et les syndicats. Dans la CCT c’est plus frontal et il y a moins d’intermédiaire. On peut plus rapidement en modifier les articles.»

 En fait, le passage de la loi sur le personnel à une CCT pourrait, semble-t-il, faciliter le travail des syndicats. Lui donner davantage de substance. Le cas de la réorganisation de l’Office fédéral des douanes et sécurité des frontières (OFDF) actuellement en cours, en est un bon exemple.

«La réorganisation de l’OFDF est très controversée depuis le début, raconte Jérôme Hayoz. La direction de l’OFDF a pris de nombreuses décisions qui n’ont pas été comprises par le personnel ou qui ne lui ont pas été suffisamment bien communiquées et ont aussi détérioré les conditions de travail. Les associations de personnel et les syndicats attirent régulièrement l’attention sur les dysfonctionnements et ceuxci sont pris en compte, mais pas suffisamment dans la mise en oeuvre. Pour nous, il est essentiel de ne pas baisser la tête sur ces questions et d’attirer sans cesse l’attention sur les dysfonctionnements. C’est certes épuisant, mais cela fait partie de notre travail. Cependant, cette réorganisation est loin d’être aboutie, car la loi correspondante va maintenant être soumise au Parlement. Nous aurons alors de nouvelles possibilités d’exercer une influence en faveur des employé.e.s concerné.e.s.»

C’est dans ce genre de cas que les employé.e.s ont besoin de l’aide de syndicats comme l’APC: «Nous nous engageons pour qu’il n’y ait pas de suppressions d’emploi mais que chaque employé.e trouve un emploi dans la nouvelle organisation, explique le secrétaire général. L’employeur doit donner les moyens aux employé.e.s d’acquérir de nouvelles compétences dans le cadre de la nouvelle organisation. Les employé.e.s qui le désirent doivent avoir la possibilité de se former aux nouvelles technologies par exemple. Cela signifie que l’employeur doit mettre la formation, le temps et les moyens financiers à disposition des employé.e.s. Nous nous engageons aussi pour l’élaboration de plans sociaux généreux pour protéger les personnes touchées par la réorganisation. Les personnes concernées doivent être soutenues activement dans leur réorientation.»

 

Et pour les cantons?

Le personnel des différents cantons est soumis à une loi cantonale. Pas de convention collective, sauf à Soleure, qui fait office de pionnier. En effet, l’administration cantonale, mais également les tribunaux, la police, le personnel enseignant et même l’ensemble du personnel hospitalier (qui ne sont pas employés par le canton mais par Solothurner Spitaler AG) sont soumis à une CCT

Mirco Müller, de l’association des employé.e.s du canton, ne pourrait pas être plus élogieux quant à ce qu’il perçoit comme une évolution. Selon lui, les négociations ont été dépolitisées par le passage de la loi sur le personnel à une CCT: «Les négociations d’aujourd’hui avec les partenaires sociaux sont plus ciblées et contribuent ainsi de manière décisive à l’humeur positive et à la satisfaction du personnel du canton de Soleure, explique-t-il. Grâce à cette CCT, le canton de Soleure dispose d’un droit du personnel public moderne et innovant. Les conditions de travail ne sont pas dictées « d’en haut », mais négociées sur un pied d’égalité dans le cadre du partenariat social. Les décisions sont prises sur la base de critères factuels plutôt que sur des considérations politiques. De plus, le travail en commission paritaire est plus léger et plus rapide que la voie politique avec la concertation, les procédures des conseils cantonaux, etc. De plus, le résultat des négociations salariales annuelles ne doit être décidé que par le Conseil d’Etat, et non plus par le Grand Conseil. Nous sommes extrêmement satisfaits de notre CCT!»

Du côté de Fribourg, toujours soumis à la loi cantonale, on déplore les failles de ce partenariat social qui ne permet pas de mener un véritable processus de négociation. Bernard Fragnière, le président de la FEDE, la faîtière des associations de personnel de l’Etat de Fribourg, explique la lourdeur de la tâche: «Ce mode de fonctionnement positionne la représentation des salarié.e.s en situation de faiblesse par rapport à l’employeur. Le Conseil d’Etat nous consulte mais décide ensuite des conditions qu’il met en place pour le personnel. Ce mode de fonctionnement est insuffisant et la participation des collaborateurs et collaboratrices également. Ça se traduit notamment sur un fonctionnement insatisfaisant des mécanismes de prévention et protection de la santé des employé.e.s, je pense en particulier pour les questions de gestion des conflits et de protection de la personnalité.» 

Alors, les autres cantons pourront-ils emboîter le pas à Soleure? Pour changer la loi, il faudrait passer par les organes législatifs cantonaux.

 

Autre cas de figure

 Pour les entreprises privées qui n’ont pas signé de CCT, c’est la loi fédérale sur l’information et la consultation des travailleurs dans les entreprises qui s’applique, explique le syndicat Unia. «À partir de 50 employé.e.s, les salarié.e.s peuvent élire une commission du personnel chargée de représenter leur intérêts auprès de la direction. Cette commission doit avoir accès aux informations nécessaires pour pouvoir travailler, narre Lucas Dubuis. Le problème qui se pose alors est le lien de subordination entre les employé.e.s et l’employeur. Dans les branches sans partenariat social et sans CCT, un contrat-type de travail peut être imposé par les autorités et des commissions tripartites sont chargées d’y surveiller les salaires pour éviter le dumping.»

Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras

René-Simon Meyer est le vice-président de l’APC. Il a une longue expérience du sujet, puisqu’il a toujours été très engagé dans le mouvement syndical genevois.

 Du haut de son observation globale de la situation, il se déclare – lui aussi – plutôt favorable à une CCT

«Les ordonnances sont aussi négociées, mais il y a toujours une partie plus forte au contrat, selon lui. Par exemple, avant 2001, nous avions le statut de fonctionnaire, donc une très bonne protection contre les licenciements. Avec des révisions successives, ces conditions se sont allégées de plus en plus, la protection a diminué et il est devenu plus facile pour l’employeur de licencier. Mais les CCT ne sont pas figées dans le marbre non plus, les conditions s’appliquent dans la durée de sa validité.» René-Simon Meyer ajoute: «Une convention collective reflète l’esprit du partenariat social. A la Confédération, nous disposons d’une déclaration commune d’intention des partenaires sociaux de la Confédération que nous signons. Ceci n’empêche pas certains directeurs ou directrices d’office, chef.fe.s du personnel, voir «chefaillons» de se moquer au quotidien des syndicats et par là,du partenariat dans leur office. Les exemples ne manquent pas et les employé.e.s concerné.e.s en subissent les conséquences. Nos secrétaires d’association y sont régulièrement confronté.e.s. Sur ce point une CCT n’y changerait rien; il y a aussi des mauvais élèves parmi les signataires de CCT.»

Il se murmure que, dans certaines situations, les syndicats ne veulent pas de CCT, car ils trouvent que les employé.e.s sont mieux protégés par la loi cantonale. Ils craignent un déséquilibre lors des négociations de la convention collective, qui aboutirait à de moins bonnes conditions de travail pour les employé.e.s. Lorsqu’on lui demande pourquoi Fribourg n’emboîtera pas le pas de Soleure, Bernard Fragnière tranche en effet:

«Par crainte de la perte de statut de droit public avec un danger de voir les administrations aligner les conditions du secteur public sur celles du droit privé, moins avantageuses.»

 

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