DOSSIER PVB MAGAZIN-E 4 2024

Intelligence artificielle et apprentissage automatique : révolution ou évolution ?

L’intelligence artificielle (IA) transforme de nombreux secteurs, des soins à l’administration publique, avec des avantages tels que l’efficacité et la durabilité, mais aussi des risques liés aux erreurs, à la discrimination et aux préjugés potentiels. Dans le monde du travail, l’IA a un impact sur les processus internes, le recrutement et la gestion des performances. Garantir la transparence, la participation du personnel, un cadre éthique et la protection des droits du travail est essentiel.

 

Tendance superficielle et dynamique à long terme

Avec la large médiatisation de ChatGPT, une forme de système basé sur des modèles d’apprentissage algorithmique, le terme « intelligence artificielle » (IA) est sur toutes les lèvres, utilisé et interprété de manière plus ou moins précise. Pour faire simple, l’IA désigne des systèmes automatisés capables de faire des prévisions, de fournir des recommandations et de prendre des décisions avec peu d’intervention ou de supervision humaine.

Les systèmes d’IA sont en progression constante dans de nombreux secteurs de l’économie et de la société. Il est cependant crucial d’analyser sobrement les espoirs et les risques liés à leur utilisation et à leur diffusion. Cela concerne également le monde du travail : alors que l’utilisation de systèmes de gestion algorithmique de l’IA dans les secteurs de la logistique et des plateformes a déjà suscité l’attention publique, son déploiement dans d’autres domaines, comme l’administration (publique), gagne également en visibilité

 

De nombreuses opportunités, mais aussi des risques et des limites connues

 L’utilisation de l’IA présente de nombreuses opportunités. Prenons la durabilité écologique : dans les villes dites « Smart-City », l’IA est utilisée pour relier les données sur la mobilité, la consommation d’énergie et les habitudes de consommation des habitant·e·s, dans l’objectif de garantir une qualité de vie élevée tout en minimisant l’utilisation des ressources. Dans le domaine de la santé, l’IA aide déjà les médecins à reconnaître des schémas dans le diagnostic des maladies, augmentant ainsi la précision des diagnostics.

Les risques perçus et débattus autour de l’IA ne sont cependant pas minces. Le principal point de critique est la forte propension de ces systèmes à l’erreur, potentielle ou réelle, en raison de leur nature non intelligente. Ce ne sont que des applications performantes de reconnaissance de schémas réalisant des prévisions et des recommandations basées sur des données historiques et des corrélations passées. Cela peut entraîner des discriminations ou renforcer des biais existants, sur les questions de genre ou d’origine par exemple. Le potentiel futur des technologies de l’IA reste controversé ; la possibilité que ces systèmes seront un jour capables de tirer des conclusions intelligentes à partir des informations qu’ils traitent reste pure spéculation. Ce qui est certain, c’est que l’IA ne remplacera pas les capacités de prévision humaine, et qu’elle ne nous permettra pas de lire l’avenir comme dans une boule de cristal.

 

Connaissances et développements dans l’administration publique

Selon l’OCDE, l’IA est actuellement utilisée dans les administrations publiques principalement pour « améliorer l’efficacité des processus internes » (70 % des États de l’OCDE le déclarent). La France, par exemple, expérimente une application d’IA générative pour regrouper et prioriser les tâches des fonctionnaires. En Suède, un modèle d’IA trie et répartit 60 % des demandes reçues dans le registre central du commerce.

En Suisse, dans l’administration publique (au sens large), l’exemple de la gestion des accidents de la Suva est particulièrement frappant : alors que chaque  dossier de sinistre était auparavant traité par une personne, c’est aujourd’hui le programme « Smartcare » qui s’en charge. À l’exception des accidents graves, toutes les déclarations d’accidents, factures médicales et indemnités journalières sont traitées par ordinateur. Le programme fait des prévisions de guérison et de coûts et gère les dossiers sur la base des expériences passées. Tant que tout reste dans les valeurs attendues, le système traite les indemnisations automatiquement. L’humain n’intervient qu’en cas d’anomalies ou de demandes des assuré·e·s. La Suva a constitué ce savoir en matière d’IA au fil des années et dispose de la quantité de données nécessaires pour l’exploiter raisonnablement. Le projet reste toutefois très ambitieux.

De manière générale, dans l’administration fédérale suisse, l’IA est surtout utilisée dans le cadre de projets pilotes pour la reconnaissance de texte, de voix et d’images, ainsi que pour des vérifications de plausibilité, la validation des données et la maintenance prédictive. Dans les prochaines années, les offices et les départements qui traitent déjà de grandes quantités de données devraient se pencher sur la question de la mise en œuvre de systèmes d’apprentissage automatique. Il s’agit notamment de l’Administration fédérale des douanes et de la sécurité aux frontières, des assurances sociales et de la Caisse suisse de compensation, de l’Administration fédérale des contributions, de l’Office fédéral de l’énergie et de la Commission de l’électricité (ElCom) et de l’Office fédéral de la statistique,
bien sûr. Ce dernier dirige depuis trois ans le Réseau de compétences Intelligence artificielle (KNW KI), dont la mission est de rassembler les connaissances des expert·e·s de tous les services, d’exploiter le potentiel des applications d’IA et de promouvoir ces technologies dans l’administration.

 

Crée-moi une image syndicale montrant des personnes qui défendent leurs droits au travail. Les éléments qui doivent figurer dans l’image : Suisse, Palais fédéral, personnes, panneaux Style : dessin animé, bande dessinée
Crée-moi une image syndicale montrant diverses personnes qui défendent leurs droits au travail. Les éléments qui doivent figurer dans l’image : Palais fédéral, personnes, pancartes de manifestation, différent·e·s travailleurs·euses Style : dessin animé, bande dessinée

 

Travailleurs·euses et IA : à la fois sujet et objet

Les technologies algorithmiques pour le travail se répartissent en deux catégories : celles qui utilisent des données des travailleurs·euses (par exemple dans le domaine des ressources humaines, lorsqu’une entreprise utilise un outil d’analyse qui doit prédire les licenciements afin d’améliorer la fidélisation des collaborateurs·rices) et celles qui se servent des données directement issues des processus de travail (comme, par exemple, un système de répartition des demandes client·e·s pour optimiser le temps de traitement).

Dans le domaine des ressources humaines, l’IA est utilisée dans toutes les étapes d’interaction avec les employé·e·s : du recrutement et de l’embauche à la formation et au perfectionnement, en passant par l’attribution et la planification des tâches, la « gestion des performances » et le suivi de la productivité. Il existe, par exemple, des plates-formes d’évaluation des compétences qui classent les candidat·e·s à un poste sur la base de tests préalables, d’évaluations en ligne et d’entretiens d’embauche ou encore des outils de mesure de la productivité qui identifient les inefficacités dans les processus de travail, mesurent la « discipline » des employé·e·s, identifient les employé·e·s moins performant·e·s et estiment les taux de rotation du personnel.

Lorsque les employeurs utilisent ces systèmes pour prendre des décisions sur ou pour les employé·e·s, il est impératif que leurs droits soient respectés et leur autonomie protégée. Les travailleurs·euses doivent pouvoir faire valoir leurs intérêts à tous les niveaux et participer activement à l’introduction et à l’exploitation de nouveaux systèmes. Les employeurs doivent faire rapport aux syndicats et aux représentant·e·s du personnel sur les objectifs et la mise en œuvre des systèmes d’intelligence artificielle bien avant qu’ils ne soient développés ou introduits, et rendre compte régulièrement de leur impact. La réussite du projet de la Suva, mentionnée plus haut, repose également sur la négociation d’une
garantie d’emploi avec le syndicat concerné, ce qui a largement contribué à son acceptation par le personnel.

De manière globale, un cadre avec des règles contraignantes pour l’utilisation de l’IA dans le monde du travail est nécessaire. Pour l’Association du personnel de la Confédération, cela se traduit par des principes de participation du personnel à l’utilisation des systèmes d’IA, tels que : 

  1. Normes minimales : fixer des normes minimales pour la conception et l’utilisation des systèmes algorithmiques dans l’administration fédérale.
  2. Transparence : garantir aux employé·e·s et à leurs représentant·e·s le droit d’obtenir des informations sur les systèmes utilisés.
  3. Évaluation de l’impact : l’impact des systèmes d’intelligence artificielle nouvellement introduits sur les conditions de travail doit être systématiquement évalué et démontré par la Confédération.
  4. Limites : interdire l’introduction d’applications intrusives de surveillance systématique du personnel, conformément aux lois existantes.

 

Développements futurs : que peut-on attendre ?

L’utilisation de « Big Data » et de l’IA sur le marché du travail entraînera la disparition de certaines tâches, mais il est difficile de prévoir lesquelles et à quel rythme. Les annonces alarmistes sont donc, pour l’instant, hors de propos. Selon le FMI, 30 % des métiers pourraient être partiellement ou totalement remplacés par l’IA, mais en réalité, nous sommes loin du compte. Le développement a jusqu’ici été évolutif plutôt que révolutionnaire, les technologies d’IA utilisées aujourd’hui se distinguant en grande partie par le fait que les modèles sousjacents fonctionnent de manière fiable dans des domaines d’application restreints. Elles ne sont toutefois pas indépendantes des travailleurs·euses, mais constituent des outils techniques qui les soutiennent.

Même les IA génératives les plus récentes (comme ChatGPT) servent principalement de soutien. Elles peuvent accélérer le travail, mais une intervention humaine reste indispensable pour garantir des résultats fiables. Un chatbot peut par exemple assister au service client·e·s, mais des programmes complexes ou une réponse à une demande inhabituelle d’un·e client·e restent tributaires du travail humain.

L’impact de l’IA sur l’emploi est donc incertain. Ce qui semble prévisible est que les professions les plus touchées seront probablement celles en déclin depuis des années, comme les emplois de bureau de la classe moyenne. Les métiers intellectuels comme ceux des gestionnaires ou des expert·e·s-comptables pourraient être concernés, tout comme les emplois faiblement rémunérés, impliquant des tâches répétitives.

L’histoire montre néanmoins que l’apparition de nouvelles technologies s’accompagne de la création de nouveaux métiers. Des avancées sociales comme la réduction du temps de travail et les augmentations salariales ont toujours été obtenues grâce aux gains de productivité et à l’organisation collective. Cela pourrait également être le cas avec l’IA, mais seulement dans le cadre d’une participation active des travailleurs·euses.

 

Intelligence artificielle et apprentissage automatique :
révolution ou évolution ?
Reto Wyss, USS

 

 

IA : poursuite des travaux au sein de l’Union syndicale suisse

L’Union syndicale suisse (USS) va procéder à un échange d’expériences sur l’IA avec ses organisations, dont l’Association du personnel de la Confédération, dans le cadre du groupe de travail existant sur la digitalisation. Sur cette base, les organes seront informés et un document de suivi sera élaboré sur la nécessité d’agir sur le plan syndical et juridique en matière d’utilisation de l’intelligence artificielle dans le monde du travail.

 

Les syndicats face au défi de l’intelligence artificielle

Les syndicats suisses, comme leurs homologues d’autres pays européens, adoptent une position nuancée face à cette révolution technologique, entre vigilance et adaptation constructive. En tant que syndicat suisse des médias et de la communication, syndicom s’est très tôt intéressé é l’impact de l’intelligence artificielle sur le monde du travail, veillant entre autres à ce que l’IA ne détériore pas les conditions de travail. L’Union syndicale suisse a, pour sa part, mis sur pied un groupe de travail réunissant des représentants des principaux syndicats de notre pays afin d’analyser les conséquences du phénomène dans les différents secteurs de l’économie et de pouvoir émettre des recommandations circonstanciées sur le sujet.

 

Vision de l’APC sur l’Intelligence Artificielle : enjeux et perspectives

L’intelligence artificielle (IA) est évidemment un sujet important pour l’APC. Cette technologie promet d’améliorer l’efficacité et d’optimiser les processus de travail mais elle suscite des inquiétudes croissantes parmi nos membres. L’APC reconnait les opportunités offertes par l’intelligence artificielle : elle peut contribuer à une meilleure prise de décision grâce à l’analyse de données massives, ce qui peut potentiellement améliorer les conditions de travail et la productivité

 

Risques et inquiétudes

L’APC est cependant préoccupée par l’impact de l’IA sur l’emploi. Elle estime notamment que la transition doit être accompagnée de mesures importantes en matière de formation. Elle plaide pour des investissements dans la formation professionnelle afin de préparer les employé·e·s aux défis posés par l’IA et de garantir qu’ils·elles disposent des compétences nécessaires pour s’adapter à un environnement de travail en constante évolution. Des réductions de budget en matière de formation sont donc inenvisageables.

Par ailleurs, l’utilisation de l’IA soulève des questions éthiques et de confidentialité. L’APC s’inquiète de la surveillance accrue des employé·e·s qui pourrait résulter de l’implémentation de technologies basées sur l’IA. Elle plaide pour des réglementations strictes afin de garantir que les droits des employé·e·s soient respectés et que leur vie privée ne soit pas compromise.

Pour l’APC, les effets psychologiques de l’automatisation et des changements rapides dans le lieu de travail (comme l’anxiété liée à l’incertitude de l’emploi) doivent être suffisamment pris en compte.

La question de l’équité et de la transparence des algorithmes utilisés dans le secteur public mérite également une attention accrue. L’APC et les autres syndicats doivent veiller à ce que ces systèmes ne reproduisent pas de biais ou d’inégalités. L’APC insiste également sur le fait que la qualité du service public doit être maintenu. L’impact de l’IA sur la qualité et l’accessibilité des services publics pour les citoyen·ne·s, ainsi que sur la relation entre les employé·e·s et le public, ne doit pas être négligé.

Face à ces enjeux, l’APC estime qu’il est crucial d’impliquer les syndicats dans les discussions sur l’IA afin de s’assurer que les intérêts des employé·e·s soient pris en compte. L’intelligence artificielle doit devenir un outil au service du progrès social plutôt qu’une menace pour les employé·e·s.

Luc Python
Création image qui représente l’impact de l’intelligence artificielle sur le travail du personnel de la Confédération.
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